L'Improbable Pacte d'Amour : Extraits

Extrait 1 : Catherine

Dans la salle de réveil, Catherine émergeait tout doucement. Lorsqu'elle fut complètement réveillée, elle commença à ressentir des douleurs au bas du ventre. Son médecin la rassura :

- Ne vous inquiétez pas madame Desnoyers. Les douleurs abdominales sont chose courante après une ponction ovarienne. Je vais vous prescrire des antidouleurs, et d'ici deux ou trois jours vous ne sentirez plus rien. 

Rassurez-vous l'intervention s'est parfaitement bien déroulée. Nous avons réussi à prélever une trentaine d'ovocytes que nous avons mis en contact avec les spermatozoïdes de votre époux. Et bonne nouvelle, dix-neuf d’entre eux ont été fécondés. Nous les avons soigneusement mis en culture, et d’ici deux à trois jours, nous pourrons évaluer leur qualité et leur aptitude à poursuivre une grossesse.

D’ici là, je vous ordonne de vous reposer. Nous reprendrons contact avec vous pour le transfert des embryons. A très bientôt madame Desnoyers.

- Merci docteur. 

Lorsque le brancardier la ramena dans sa chambre, Catherine annonça aussitôt la nouvelle à Paul.

- Mais c’est merveilleux, ma chérie !

- Tu te rends compte, Paul, ce n’est pas un mais dix-neuf ovocytes qui ont été fécondés. Si parmi tous ces œufs il n’y en a pas un ou deux qui survivent, alors là, je me dis que je suis une femme damnée !

- Ne te fais pas de soucis ma chérie, je suis certain qu’un beau petit embryon va voir le jour dans une de ces nombreuses éprouvettes.

- J’espère de tout cœur… 

De retour à l’appartement, Catherine s’enferma dans sa chambre. Elle s’agenouilla devant son lit et se mit à prier :

« Seigneur, je viens vers toi pour te demander humblement d’exaucer ma prière. Daigne écouter une pauvre femme en mal d’enfant. Je ne désire qu’une chose, c’est de tomber enceinte. Seigneur, je t’en supplie, aide moi… ».

Trois jours plus tard, Catherine reçut un appel téléphonique lui demandant de se rendre immédiatement au centre médical afin de procéder au transfert des embryons.

- Madame Desnoyers, nous avons une excellente nouvelle. Sur les dix-neuf ovocytes fécondés, dix sont aptes à poursuivre une grossesse.

Aujourd’hui, comme convenu, nous vous transférons deux embryons. Quant aux huit autres, ils seront congelés au cas où vous envisageriez une autre fécondation in vitro.

- Je suis si heureuse, que j’ai du mal à réaliser.

- C’est dans ces moments-là que nous apprécions le travail que nous effectuons chaque jour. Voir le sourire d’une patiente nous encourage et nous pousse à lutter sans cesse contre la stérilité. 

Le transfert se déroula parfaitement bien. Catherine repartit chez elle le jour-même.

Le soir, lorsque Paul rentra de son travail, il la souleva et la serra très fort dans ses bras.

- Ma chérie, je suis tellement excité et heureux à l’idée que nous puissions être parents dans neuf mois.

- Oui, mais ce n’est pas une raison pour m’écraser. Pense aux deux petits embryons qui sont à l’intérieur de mon ventre. Tu ne voudrais tout de même pas qu’ils tombent de leur nid, n’est-ce pas mon amour ?

- Excuse-moi, ma chérie. Je suis vraiment désolé. Dans l’excitation je ne me suis pas rendu compte que je te serrais trop fort contre moi.

- Ce n’est pas grave. Mais à partir d’aujourd’hui, nous devons faire très attention à ne pas faire de gestes brusques qui pourraient mettre en danger nos deux petits embryons.

- Catherine, tu ne crois pas que tu exagères un peu ? Ils ne sont pas si fragiles…

- On ne sait jamais. Je préfère ne prendre aucun risque.

- Si ça peut te rassurer, je te promets de faire très attention. 

Le soir, au coucher, Catherine fit glisser son tout premier ovule de progestérone dans son vagin. Le lendemain, et durant quatorze jours, elle fut obligée d’introduire plusieurs fois par jour ces horribles ovules. Le soir, cela ne l’ennuyait nullement car elle était allongée sur son lit. Mais durant la journée, elle n’osait plus mettre le nez dehors car les ovules dégoulinaient le long de ses jambes, c’était très désagréable.

Le temps passa assez vite, et le jour de la prise de sang arrivait à grands pas. Catherine commença de plus en plus à s’angoisser. Elle y croyait tellement qu’elle ne pouvait pas imaginer un seul instant que le verdict puisse être négatif.

Le jour tant redouté arriva. Elle se rendit, tôt le matin, au laboratoire et fit sa prise de sang. Durant toute la journée, elle fit des va-et-vient incessants dans l’appartement car elle n’arrivait pas à rester plus de cinq minutes au même endroit. Vers 16h00, ne pouvant plus attendre, elle appela le laboratoire :

- Bonjour, madame Desnoyers. Je vous appelle pour connaître le résultat de ma prise de sang.

- Un instant je vous prie. 

L’attente ne dura pas plus d’une minute. Mais ces quelques dizaines de secondes lui parurent une éternité. Elle était au bord de la crise de nerf. Lorsque, tout à coup, elle entendit au bout du fil :

- Madame Desnoyers, votre test est positif.

- Positif ? Vous en êtes certaine ?

- Il n’y a aucun doute, vous êtes enceinte. 

Submergée par l’émotion, Catherine laissa échapper son téléphone. Elle n’en revenait pas, enfin elle était enceinte ! Un torrent de larmes s'écoula le long de ses joues. Ce n'était pas des larmes de tristesse mais un mélange de joie et de nervosité. Elle avait accumulé, au fil des années, une telle pression, qu'elle ne pouvait s'arrêter de pleurer. Néanmoins, elle récupéra son portable et appela Paul :

- Paul, désolée de te déranger mais j'ai une nouvelle à t'annoncer.

- Que t'est-il arrivé, ma chérie ? Mais tu pleures...

- Ce sont des larmes de bonheur, mon amour. 

Paul souffla. Il était soulagé et heureux car il comprit immédiatement qu'il n'y avait rien de grave. Au contraire, ce qu'ils désiraient le plus au monde allait enfin se réaliser.

- Le test est positif ?

- Oui, mon amour. Dans moins de neuf mois, tu seras papa.

- C'est merveilleux, ma chérie. J’ai hâte de rentrer à la maison pour te serrer dans mes bras. Je t'aime !

- Moi aussi je t'aime ! 

Le soir, lorsque Paul rentra à la maison, il trouva une femme rayonnante de bonheur. Catherine avait revêtu sa plus jolie robe, ses yeux étincelaient, ses lèvres affichaient à nouveau son sourire ravageur. S'il avait pu arrêter le temps, il aurait choisi cet instant pour garder à jamais cette image du bonheur. Ils passèrent une excellente soirée. 

Une semaine plus tard, Catherine se rendit à nouveau au laboratoire pour une seconde prise de sang. Le dosage de l'HCG (hormone chorionique gonadotrope) plasmatique avait doublé confirmant ainsi la grossesse. Catherine et Paul étaient aux anges. Les jours s'écoulèrent. Catherine ressentit les symptômes d'un début de grossesse, elle avait souvent des nausées et ses seins se durcissaient devenant parfois douloureux. Mais ce qui l'ennuyait le plus, c'était la fatigue qu'elle ressentait au quotidien. Mais tous ses désagréments, elle les oublia très vite car elle avait tant souhaité éprouver ce que ressentaient les femmes enceintes.

Huit semaines plus tard, Catherine ne ressentit plus aucun symptôme de grossesse. Les nausées avaient disparu et ses seins n'étaient plus douloureux. Elle s'interrogea car elle était encore loin de terminer son premier trimestre. Et puis un matin, en allant aux toilettes, elle découvrit des taches de sang dans sa culotte. Elle prit peur. Mais ne ressentant aucune douleur au bas ventre, elle préféra croire que ces taches de sang étaient sans importance. De toute façon, elle avait rendez-vous dans cinq jours pour passer son échographie du premier trimestre. Les saignements vaginaux persistèrent.

Elle se rendit, comme convenu, chez son gynécologue pour passer son échographie. Elle s'installa sur la table de consultation.

- Alors madame Desnoyers, comment se déroule cette grossesse ?

- Bien, docteur.

- Rien à signaler ?

- Je n'ai plus de nausées, mes seins ne me font plus mal et je me sens moins fatiguée. A part ça, j'ai des petits saignements vaginaux depuis quelques jours.

- Des saignements vaginaux ?

- Oui, cela ressemble un peu aux saignements de début et fin des règles. 

Le visage du gynécologue s'assombrit. Il examina attentivement les images sur l'écran, insista longuement, puis débrancha l'appareil.

- Madame Desnoyers, dit-il d'une voix compatissante.

- Oui, docteur.

- Je suis vraiment désolé d'avoir à vous annoncer la fin de votre grossesse.

- Comment ça ? Je ne comprends pas, docteur.

- Vous avez fait une fausse-couche. Les saignements vaginaux étaient les symptômes annonciateurs de cette fausse-couche. L'embryon n'a pas survécu. Son cœur ne bat pas et son développement s'est achevé. Je suis vraiment navré pour vous et votre époux. Je sais à quel point cette grossesse était importante... 

Catherine ne répondit pas. Elle n'entendait plus son médecin parler. Elle était ailleurs, dans un autre univers, loin du monde réel. Loin de la réalité qu'elle voulait fuir à tout prix. Loin de cette vie cruelle, qui ne lui apportait que déception et souffrance.

- Madame Desnoyers, vous m'entendez ? Vous êtes toute pâle. Vous ne vous sentez pas bien ? 

Soudain, Catherine perdit connaissance. Cela faisait bientôt quatre ans qu'elle essayait, en vain, d'avoir un enfant. Aujourd'hui qu'elle était parvenue à tomber enceinte, voilà qu'on lui annonçait qu'elle avait fait une fausse-couche. C'en était trop ! Catherine était épuisée par tant d'échecs. Son corps et sa tête n'avaient pas pu supporter un tel choc émotionnel.

Elle resta vingt-quatre heures en observation et dut subir un curetage sous anesthésie générale. Cette intervention était nécessaire pour assurer l'élimination complète du placenta, arrêter les saignements et éloigner tout danger d'infection. Elle rentra ensuite chez elle.

Malgré sa peine, Paul essaya, tant bien que mal, de réconforter son épouse :

- L'embryon n'a pas survécu. Cela nous affecte et nous fait souffrir. Mais essayons de voir le côté positif de cette expérience. Maintenant, nous savons, que grâce à la fécondation in vitro, nous pouvons avoir un enfant. Rien n’est perdu. Il nous reste plusieurs embryons congelés qui n'attendent qu'une chose, c'est d'être transférés dans le ventre de leur maman.

- Je sais Paul. Mais ça ne va pas me faire oublier la perte de mon premier bébé. Il était là, dans mon ventre. Même si je ne le sentais pas encore bouger, il était bien vivant. Et ça, je ne l'oublierai jamais !

- Moi non plus, je ne l'oublierai jamais. Mais le temps atténuera notre peine. Et lorsque tu seras à nouveau prête à accueillir un autre bébé, je serai à tes côtés pour une nouvelle fécondation in vitro.

- Merci Paul d'être aussi compréhensif. 

Au bout de deux semaines, Catherine reprit son travail. Elle avait besoin de se changer les idées. Heureusement que ses collègues n'étaient pas au courant de sa grossesse. Ils ne l'avaient pas encore annoncée à leur entourage. Elle se réjouit de ne pas l'avoir fait car elle ne voulait surtout pas voir dans le regard des autres de la compassion. Ne pas entendre ce genre de phrase :

« La pauvre, je la plains, elle n'a vraiment pas de chance. Ma chérie, si je peux faire quelque chose pour toi, n'hésite pas. Tu verras, d'ici quelque temps, tu auras oublié cette fausse-couche... »

Comment peut-on dire de telles idioties ? Ces gens-là pensent bien faire mais ils ne font qu'aggraver les choses. Oser dire que l'on oubliera facilement une fausse-couche. Seul ceux qui n'ont pas vécu cet évènement peuvent dire de telles sottises car ils ignorent ce que l'on éprouve. La perte d'un enfant, même à ce stade de la grossesse, reste difficile à accepter. Oui, ce n'était qu'un petit embryon, mais il vivait à l'intérieur de moi ! Proposer de l'aide, c'est généreux de leur part, mais ils ne peuvent rien pour moi. Comment pourraient-ils m'aider ? Et puis, il y a toutes ces personnes qui vous plaignent et qui vous regardent comme si vous étiez différente des autres femmes. Je suis simplement une femme qui a du mal à concevoir un enfant. Et alors ? Est-ce une raison pour me pointer du doigt ?




Extrait 2 : Laila


Le mois d’octobre arrivait à grands pas et avec lui la rentrée universitaire. Laila rentrait en quatrième année d’anglais. Il ne lui restait plus que deux ans d’études avant de passer son concours à l’IUFM. Hélas, cette année, Laila avait la tête ailleurs. Voilà plus de deux semaines qu’elle attendait désespérément l’arrivée de ses règles. Ne supportant plus l’angoisse de l’attente, elle décida de faire un test de grossesse. Elle se rendit à la pharmacie et acheta le test conseillé par son pharmacien. Elle lut attentivement la notice qui préconisait de réaliser le test avec les urines du matin. La nuit fut interminable. Laila n’arrivait pas à s’endormir. Elle était terriblement angoissée. Elle s’imaginait devant ce test, à attendre qu’un petit symbole décide ou non de chambouler sa vie. Le lendemain, au réveil, Laila se rendit aux toilettes. Elle dissimula sous sa chemise de nuit le fameux test de grossesse. Il ne fallait absolument pas que ses parents la surprennent en sa possession, ce serait dramatique. Laila s’installa sur le siège des toilettes et urina sur le test. La notice conseillait les urines du matin car au réveil celles-ci présentent un taux élevé de bêta-HCG. Laila attendit quelques minutes, le temps qu’un signe déterminant apparaisse. Ces quelques minutes lui parurent une éternité. Plus les secondes défilaient, plus les battements de son cœur s’affolaient. Elle n’en pouvait plus. Cette attente devenait un véritable calvaire. Soudain, un signe apparut : une petite croix bleue. Durant quelques secondes, Laila fixa cette croix, le regard vide. Elle savait ce que signifiait ce signe. Elle avait lu la notice : un trait pour négatif, une croix pour positif. Et elle avait une croix. Cela ne faisait aucun doute car le test de grossesse était fiable à 99%. Elle était bel et bien enceinte. Enceinte ! Ce mot résonna dans sa tête comme un écho : enceinte, enceinte, en-cein-te… Tout à coup, Laila s’effondra. Ses jambes l’abandonnèrent. Elle se retrouva à terre, coincée entre la cuvette et le mur étroit des toilettes. Le bruit fracassant de sa chute interpella sa mère.
- Laila, qu’est-ce qui se passe ? Tu vas bien ? 
Durant un bref instant, Laila perdit connaissance. Voyant que sa fille ne répondait pas, Fatiha empoigna, d’une main forte, la poignée de la porte des toilettes. Mais celle-ci était fermée à clé.
- Laila, tu m’entends ? Réponds-moi ! Par Allah, il lui est arrivé un malheur ! Ali, viens m’aider ! Laila est enfermée dans les toilettes, elle ne répond pas. Elle a dû tomber et perdre connaissance.
- Tout va bien, maman, répondit Laila d’une toute petite voix.
- Ouvre la porte, ma puce.
- Deux minutes, maman. Le temps que je me relève.
- Tu t’es fait mal ?
- Non, plus de peur que de mal. 
Laila ouvrit la porte. Sa mère la prit aussitôt dans ses bras. Puis, elle l’observa de la tête aux pieds.
- Tu n’as rien, tu en es sûre ?
- Oui, maman. Tout va bien, ne t’inquiète pas.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Ali, qui avait précipitamment sauté du lit à l’appel de son épouse.
- J’ai eu des vertiges. J’ai perdu l’équilibre et je me suis retrouvée par terre.
- Oui, mais tu ne répondais pas.
- Ma tête a heurté le mur, j’ai certainement perdu connaissance un bref instant.
- On devrait appeler un médecin, quand penses-tu, Ali ?
- Ce n’est pas à moi d’en juger mais à Laila. Veux-tu qu’on appelle un médecin ?
- Non, papa. Merci à vous deux de vous inquiéter pour moi, mais ce n’est pas nécessaire. Je vais mieux. Ne vous faites aucun souci. Je retourne m’allonger dans ma chambre. Un peu de repos et je serai à nouveau en pleine forme.
- Alors, repose-toi bien, ma puce.
- Merci, maman. 
Laila retourna dans sa chambre. Elle avait pris soin de cacher son test de grossesse dans sa culotte. Dans la panique, elle n’avait pas eu d’autre choix que de le mettre à cet endroit car les toilettes n’avaient nulle cachette à offrir. Après avoir vérifié une dernière fois le test, Laila le cacha, puis s’enfouit sous sa couette. Effondrée, déboussolée, elle pleura toutes les larmes de son corps. Epuisée, à bout de nerfs, elle finit par s’endormir. Elle fut réveillée deux heures plus tard par sa mère qui s’inquiétait de la voir dormir aussi longtemps.
- Laila, ma puce. Tu es sûre que tout va bien ? Tu as une petite mine. Et tes yeux sont tout rouges. On dirait que tu as pleuré. Tu a mal quelque part ?
- Non, maman. Je t’assure, je n’ai mal nulle part.
- Quelque chose te tracasse ?
- Non, maman. Mais pourquoi tu insistes autant ?
- Je ne t’ai jamais vue dans cet état. Tu n’es pas une fille qui a pour habitude de trainer au lit aussi tard.
- Tu as raison. Mais tu n’as aucun souci à te faire. J’ai juste passé une très mauvaise nuit.
- Bon, si tu le dis. Mais sache qu’au moindre problème, tu peux compter sur moi, Laila.
- Merci, maman. Je t’aime, tu sais.
- Moi aussi, ma puce. Je suis si fière de ma petite dernière. Quand je pense que d’ici deux ou trois ans, tu vas nous quitter.
- Pourquoi vous quitterais-je ?
- Tu es devenue une belle jeune femme. Il va bien falloir penser à te marier un jour.
- Oui, maman.
- Ce sera le plus beau des mariages. Tu verras, Laila. Tout le monde sera en admiration devant la mariée. Et toute ta famille sera fière de toi.
- Merci, maman.
- Allez, il est temps de te lever ! 
Fatiha embrassa tendrement sa fille avant de quitter la chambre. Laila était effondrée. Elle avait cru, l’espace d’un instant, pouvoir se confier à sa mère, lui avouer la véritable raison de son malaise. Hélas, c’était chose impossible. Sa détresse ne fit que s’amplifier. Elle ne pouvait pas rester seule dans cet état. Elle eut l’idée d’appeler ses amies de toujours Mélanie et Nadia. Elles se donnèrent rendez-vous l’après-midi chez Mélanie.
- Alors, Laila. Qu’as-tu de si important à nous dire ?
- J’ai fait un test de grossesse.
- Et ?
- Il est positif.
- La vache !
- Je flippe à mort, les filles. Il n’y a qu’à vous que je puisse me confier.
- Ton test est fiable ? Il n’y aucune erreur possible ?
- Non, ce test est fiable à 99%. Aucun doute, je suis enceinte jusqu’au cou. Je ne sais pas comment l’annoncer à Antoine.
- Il va bien falloir le lui dire. De toute façon c’est lui le fautif !
- Pourquoi chercher un fautif ? Ce n’est la faute de personne. C’est un accident, un stupide accident de capote !
- Ouais, mais en attendant te voilà dans de beaux draps !
- Arrête un peu Mélanie ! Tu crois pas qu’elle en a déjà gros sur la patate ? Ce n’est pas la peine d’en rajouter.
- Mouais, c’est vrai. Excuse-moi, Laila. Je suis qui pour me permettre de juger ?
- De toute façon, il va falloir qu’il t’accompagne à l’hôpital. Et sans trop tarder.
- Que veux-tu dire ? demanda Laila.
- Le temps presse. A quand datent tes dernières règles ?
- Le 11 août.
- Attends voir… Mince ! Pour la technique médicamenteuse, je crois bien que c’est foutu ! T’as dépassé les sept semaines.
- Mais de quoi tu parles ?
- De l’IVG, ma grande !
- Mais qui t’a parlé d’avorter ?
- Attends, j’y crois pas ! Je rêve ou quoi ? Tu ne penses tout de même pas garder cette chose ?
- Cette chose, comme tu le dis si bien, c’est un bébé !
- Un bébé ? Mais ce n’est qu’un minuscule œuf.
- Un embryon.
- Ouais, œuf ou embryon, pour moi c’est du pareil au même. Ce n’est qu’un amas de cellule, rien d’autre !
- Si tu vois les choses de cette façon…
- Bon, les filles, restons zen. On n’est pas là pour lancer un débat sur l’embryon. Mais pour trouver une solution au problème de Laila.
- Il n’y a pas trente-six solutions. Elle n’a pas le choix, elle doit se faire avorter.
- Et mes convictions, vous en faites quoi ? demanda Laila.
- Tes convictions, ma chérie. Tu les laisses au placard. Regarde-toi ! Tu viens d’avoir vingt et un ans, tu rentres en quatrième année d’anglais. Ton mec a vingt-deux ans, il ne lui reste plus qu’une année d’étude avant de passer le concours de l’IUFM. Tu veux tout foutre en l’air ?
- Non, je ne veux pas foutre en l’air mon avenir, ni celui d’Antoine.
- Alors, tu dois avorter.
- Mais, c’est un meurtre…
- Bon, maintenant ça suffit les conneries ! T’as deux solutions :
Soit tu gardes « ce bébé » et adieu les études et bonjour les emmerdes !
Soit tu te fais avorter et tout rentre dans l’ordre. Personne n’en saura rien.
T’imagine tes parents ? Qu’est-ce qu’ils vont penser de leur fille ? Je crois qu’ils vont prendre une sacrée claque. Et Antoine, tu crois qu’il va rester auprès de toi ? Qu’il va tout abandonner pour t’épauler ? Mais tu rêves ! Si tu gardes ce bébé, tu le perds ! Un mec de vingt-deux ans prendra la poudre d’escampette, et je peux le comprendre.
- Mélanie est peut-être dure avec toi, mais elle a raison. Tu dois avorter, Laila. C’est la meilleure solution. Dans quelques années, tu nous remercieras, tu verras.
- Vous avez raison, les filles. Je dois me faire avorter, je n’ai pas le choix.
- Te voilà enfin raisonnable, Laila !
- Si tu as besoin d’une amie pour t’accompagner à l’hôpital, appelle-nous !
- Merci, les filles. Mais je dois d’abord parler à Antoine.
- Courage, ma grande. Tout ira bien. Tu peux compter sur nous.
- Je dois y aller.
- Tiens-nous au courant.
- Ok. 
Laila rentra chez elle. Cette discussion ne l’avait pas rassurée. Au contraire, elle était encore plus tourmentée qu’auparavant. Certes, ses amies avaient raison. Garder ce bébé ne lui apporterait que des problèmes. Sa situation actuelle ne lui permettait pas d’élever convenablement un  enfant. Elle devait d’abord penser à son avenir, ses études. Il n’y avait pas de place pour un bébé. Et puis, ce serait un drame pour sa famille. Avoir un enfant hors mariage. Quel déshonneur ! Ses parents et ses grands-parents ne s’en remettraient jamais ! Elle serait certainement rejetée, traitée comme une vulgaire catin. Non, elle ne devait pas apporter la honte sur sa famille ! Laila devait avorter. Malheureusement, quelque chose en elle lui disait de ne pas avorter, de ne pas tuer l’enfant qu’elle portait. Laila était complètement déboussolée, perdue. La raison voulait qu’elle avorte mais son cœur s’y refusait.
Le soir même, elle appela Antoine.
- Antoine, c’est Laila. Il faut qu’on se voie. J’ai quelque chose d’important à te dire.
- C’est pas une tuile, j’espère ?
- Je ne peux pas en parler au téléphone. Peux-tu me rejoindre à la prairie des Filtres, demain vers 15 heures ?
- Pas de problème, j’y serai !
- A demain. Bisous.
- Bisous. 
Le lendemain, Laila se rendit à la prairie des Filtres. Elle était en avance sur son rendez-vous. Elle attendit nerveusement l'arrivée d'Antoine. Angoissée de devoir lui annoncer qu'elle était enceinte, elle avait très peu dormi durant la nuit. Lorsqu'elle aperçut Antoine, les battements de son cœur s'accélérèrent. Elle avait peur qu'il s'enfuie à toutes jambes lorsqu'elle lui annoncerait sa grossesse.
- Bonjour, Laila, dit-il en l'embrassant.
- Bonjour, Antoine.
- Alors, qu'as-tu de si important à me dire ?
- Tu devrais t'asseoir.
- Oh, c'est mauvais signe !
- Disons que cette nouvelle ne va pas te plaire.
- Tu veux rompre ?
- Mais non, rien à voir.
- Ouais, c'est vrai. Si tu voulais rompre, tu me l'aurais dit au téléphone ou par SMS. J'ai peut-être quelque chose à me faire pardonner, alors ?
- Non, Antoine. Rassure-toi, je n'ai rien à te reprocher. Ce que j'ai à te dire... Je ne sais pas comment te l'annoncer.
- Arrête de tourner autour du pot ! Accouche, quoi !
- Dans huit mois.
- Quoi dans huit mois ? Mais qu'est-ce que tu racontes ? Ne me dis pas que tu es en cloque ?
- Si, Antoine. Je suis enceinte.
- Tu déconnes, hein ? Allez, dis-moi que c'est une blague, de mauvais goût mais une blague...
- Non, Antoine. Je ne plaisante pas. C'est sérieux, je suis vraiment enceinte.
- Oh, putain ! C'est pas vrai, quelle merde ! cria-t-il sous le coup de la colère.
Antoine avait l'impression de prendre une gifle de plein fouet. Il n'en revenait pas. Laila enceinte ! Quelle poisse ! Mais quelle poisse ! Il ne méritait pas ça ! Lui qui mettait toujours un préservatif pour se protéger et éviter ce genre d'incident. Et il avait suffi d'une seule fois, d'une seule capote percée pour chambouler son existence.
- Bon, pas de panique... Tu peux compter sur moi, Laila.
- Tu n'es pas fâché ?
- A quoi bon ? C'est la faute à pas de chance.
- Je suis si soulagée, si tu savais !
- T'emballe pas trop vite, Laila ! Ce n'est pas fait encore.
- Ce n'est pas fait encore, que veux-tu dire par là ?
- Tu sais bien, Laila...
- Je sais quoi ?
- L'avortement, bon sang !
- Tu veux que je me fasse avorter ?
- La question ne se pose même pas. Mais tu comptais faire quoi ?
- Je sais pas...
- Attends, mais tu m'inquiètes, Laila. T'as pas l'air convaincue. Ne me dis pas que tu pensais garder cette chose ?
- Pourquoi pas ?
- Mais t'es folle, ma parole ! Il manquait plus que ça, un marmot dans mes pattes, j'y crois pas... T'as pensé un peu à moi, à mon avenir ? Tu ne veux tout de même pas foutre en l'air mes études, gâcher ma jeunesse, ma vie, quoi ! Et toi, tu te vois avec un gosse dans les bras à ton âge ? Et que vont dire tes parents ? Déjà qu'ils ne s'imaginent même pas leur fille couchant avec un mec, alors leur annoncer qu'elle est enceinte. Je t'explique pas la scène... Ils vont tomber de haut. Tu pourras dire adieu à ta liberté. Et puis, ils t'obligeront à donner le nom du père. Je te préviens, Laila, je ne veux pas entendre parler de mariage, ni de reconnaissance en paternité. Il est hors de question que j'assume quoi que ce soit. Si tu veux garder cette chose, compte pas sur moi ! Tu m'oublies, Ok ?
- Je ne t'ai rien demandé, Antoine.
- Très bien. Tu fais comme tu le sens. Moi, je te conseille d'avorter mais si tu t'obstines à vouloir le garder, tu le feras sans moi !
- Mais cet enfant je ne l'ai pas fait toute seule !
- C'est un accident, Laila ! Jamais je n'ai voulu t'engrosser ! Ne commence pas à vouloir me culpabiliser. Tu perds ton temps. Je capte pas, Laila. Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu pètes un plomb, où quoi ? T'es une fille intelligente, non ? Tu sais bien que t'as pas le choix. Tu dois avorter. C'est la seule solution pour pouvoir poursuivre tes études, construire ta vie.
- Je sais, Antoine. Mélanie et Nadia m'ont également conseillé d'avorter.
- Tu vois, même tes amies sont d'accord avec moi.
- Dans ma situation, c'est sans aucun doute la meilleure chose à faire. Mais le fait d'avorter, c'est comme si je décidais de tuer un petit être.
- Arrête de penser à cette chose comme si c'était un être vivant. Ce n'est qu'un embryon, un truc qui flotte dans du liquide.
- Vu de cette façon, l'avortement ne fera pas de moi une criminelle.
- Enfin, te voilà raisonnable !
- De toute façon, je n'ai pas vraiment le choix. Je vais prendre immédiatement rendez-vous à l'hôpital. Plus vite ce sera fait, mieux ça vaudra. Tu veux bien m'accompagner au rendez-vous ?
- Tu peux compter sur moi.
- Merci, Antoine. Et désolée pour ce qui arrive.
- Du moment que tu avortes, tout rentrera dans l'ordre.
- Je t'appellerai lorsque j'aurai la date de mon rendez-vous.
- Ok, à bientôt, Laila. 
Antoine donna un bref baiser sur les lèvres de Laila, puis s'éclipsa aussitôt. Laila resta seule, un moment, au milieu de la nature. Elle était bouleversée par ce qui lui arrivait. Ses deux meilleures amies, et maintenant Antoine, lui conseillaient d'avorter pour ne pas gâcher sa vie. Elle savait que la venue soudaine d'un bébé bouleverserait sa vie. Elle devrait certainement arrêter ses études, elle qui était en si bon chemin pour devenir enseignante. Comment faire pour élever un enfant lorsqu'on n'a pas de situation professionnelle ? Elle ne pouvait pas compter sur l'aide de ses parents, encore moins sur l'aide de son petit ami. Elle n'avait donc pas le choix. Elle devait avorter.